Entretien avec Guy Corneau : Le meilleur de soi sortir de la dépendance de la personnalité
Propos recueillis par Catherine Balance
(Revue Recto-Verseau – mars 2007)
Cinquième livre de Guy Corneau, Le meilleur de soi nous invite à recontacter la pulsion de vie, l’essence créatrice que l’on porte en soi.
Comment définis-tu le meilleur de soi?
Le meilleur de soi c’est la partie la plus vivante, la plus créatrice en soi. Quelque chose en nous veut bouger, veut créer. On sait intuitivement que notre bonheur réside dans cette faculté à créer.
Le goût naturel de l’être est de se déployer, d’unir son mouvement à celui des autres. Ce désir d’union passe autant par l’expression, la connaissance que celui d’être un avec ce qui nous entoure.
A la conception, nous sommes une cellule unique, à la fois distincte et semblable à toutes les autres. Cette cellule possède toutes les qualités d’autocréation et d’autoguérison. Elle va se reproduire et se déployer.
A la naissance, il y a un premier barrage ressenti souvent comme un choc, un traumatisme. C’est le choc du passage de l’aquatique à l’aérien. L’enfant déjà se protège de cette nouvelle vie qui commence. Il se croit seul ou isolé.
Il a peur?
Oui. Le fait de naître en est responsable. Cette peur est comparable à l’angoisse de mourir, de ne pas exister au-delà du passage. C’est une angoisse de transition qui deviendra angoisse de vivre, de créer” Cette sensation d’être divisé ou séparé est tellement intolérable qu’on luttera de toutes ses forces pour ne pas perdre le regard de l’autre. Le goût de s’unir se transformera en besoin d’être reconnu.
Pour cela, on va développer une personnalité. Le problème, c’est de s’identifier à elle et d’y croire. C’est ce qui nous jette dans la dépendance. Car si la personnalité nous permet au début de survivre, ensuite elle nous enferme. Des êtres meurent parce qu’ils n’ont pas l’attention de leurs proches. La dépendance est une maladie d’amour. Elle nous montre un dysfonctionnement.
Si l’on parvient à dépasser cette angoisse, on retrouve son élan créateur. Les peurs seront toujours au rendez-vous mais elles perdront de leur force d’attraction.
Pour moi, l’élan créateur ce n’est pas seulement la créativité, c’est tout ce qui permet notre vie : la créativité des cellules, la (re)création permanente de notre être.
Sans élan créateur, personne ne serait en vie…
Quand as-tu réalisé l’importance d’exprimer et de nourrir ce mouvement créateur ?
En 89, lorsque j’étais très malade et que j’ai frôlé la mort.
J’avais toujours été porté par mon élan créateur, avec le théâtre en particulier, mais je ne me rendais pas compte jusqu’à quel point cela participait à la santé, au goût de vivre, ni combien cela y faisait obstacle s’il n’était pas exprimé. C’est un mécanisme parfait. Il semble que chaque fois que l’on s’écarte de son élan créateur, apparaissent des maladies, des tristesses, des ruptures douloureuses qui nous montrent que nous nous sommes par trop éloignés de nous-mêmes.
S’éloigner de son élan créateur est suicidaire pour tous les êtres humains. Je l’ai redécouvert dans toute sa force et son intensité.
Je savais déjà beaucoup de choses intellectuellement sur ma maladie mais je n’avais pas compris quelle était sa source profonde. Quand je suis passé très près de la mort, à ce moment-là je me suis senti délivré de ma personnalité, de ses complications, de ses névroses. J’étais dans l’élan pur, dans l’élan de la vie, en communication avec elle. Je me sentais mélangé à toutes les choses qui existent, j’étais l’arbre, le vent, la pluie”
Ces expériences ont vraiment marqué un tournant dans ma vie. Elles ont complètement changé ma vie d’ailleurs et m’ont confirmé ce que je cherchais depuis le début de mon existence.
Tout le travail que j’ai fait depuis 17 ans est un travail d’éclaircissement, de compréhension de cet événement-là. J’ai pu à la fois intégrer ces expériences limites et aussi rassembler à ma façon mes intuitions dans le domaine de la spiritualité et mes connaissances dans le domaine de la psychologie.
Comment peut-on rouvrir la porte à son élan créateur ?
En se posant la question : qu’est-ce que je reconnais en moi qui me donne le goût de vivre et accroît ma vitalité ?
Un homme, en couple depuis 18 ans, avait peur que sa compagne soit amoureuse d’un autre homme.
Il disait que si elle le trompait, il ne savait pas s’il pourrait survivre à ça. Il répétait aussi qu’il donnait tout aux autres, qu’il avait tout donné à sa compagne et qu’il ne lui resterait plus rien si elle le quittait.
Cet homme avait adopté la personnalité ” je donne tout ” en pensant ainsi se faire aimer. Sa grande générosité était aussi un grand vide. Il ne vivait que par la stimulation du regard de l’autre. Il s’était construit une personnalité de ” bon garçon “, un bouclier psychique, pour se protéger des heurts de l’existence et s’était coupé de son élan créateur. Il l’avait étouffé et avait ainsi renié son propre pouvoir pour survivre en suivant un chemin d’autodestruction.
Notre individualité est nourrie par notre force créatrice. Cet homme aurait pu parler à sa compagne et lui poser la question qui le hantait. Mais il avait trop peur de la réponse, il n’osait pas sortir du scénario de sa personnalité et s’affirmer par crainte du regard de l’autre : ” Je perds le contact avec ma puissance créatrice et je me referme. ”
Pourquoi est-il si difficile de sortir du scénario de sa personnalité ?
Et pourquoi ne va-t-on pas vers le meilleur de soi ? Parce qu’il y a beaucoup de gratification inconsciente attachée à ce que l’on connaît. Le statu quo du personnage semble toujours plus important que le fait d’en sortir. C’est plus sécurisant, on s’est enfoncé dedans, on est confortablement engourdi. Le thème de ce livre est le meilleur de soi mais on pourrait très bien l’associer au thème de la résistance au changement.
Cet homme pourrait se demander ce qu’il reconnaît en lui des dons qu’il a laissés de côté et qui le font vibrer. Mais l’empreinte de la personnalité est très forte, très ancrée.Il y a un conflit inconscient entre la personnalité et la pulsion de soi. La personnalité se sent menacée par des décisions qui permettent d’exprimer l’élan créateur. Elle va donc avoir du mal à laisser ces activités se mettre en place, d’où les fréquentes résistances.
Pourtant le mouvement profond de l’être est créateur et amoureux : faire des expériences, dépasser des peurs, défaire des concepts, des interprétations, aller voir comment on est fait”
Il permet l’ouverture. En s’ouvrant, tout devient plus léger, plus joueur, plus fantaisiste, plus intuitif.
Les séminaires pour grands groupes de Coeur.com ont été la première tentative de formuler ce mouvement profond. J’y ai invité des artistes, je les ai associés à des thérapeutes pour stimuler chez les participants à la fois leur expression créatrice et leur compréhension psychologique.
Lorsque tu recevais des patients en consultation, leur indiquais-tu déjà des directions de créativité ?
Pour moi, le premier acte de création, c’est d’installer un observateur bienveillant à l’intérieur de soi qui accueille tout ce qui se passe, sans jugement. J’ai donc invité les patients à devenir observateurs d’eux-mêmes, à se comprendre.
Quand j’étais étudiant, on appelait cela l’introjection du thérapeute bienveillant à l’intérieur de soi.
Ton thérapeute devient un objet intérieur de dialogue, à qui tu parles. Et après un certain temps, tu prends la place de cet observateur bienveillant, tu peux toi-même occuper cette position.
S’observer est très important, observer des choses concrètes, y compris les plus petites. Tout est intéressant, rien n’est superficiel. Même les peurs de surface sont des peurs existentielles.
La grande question à se poser quand on fait quelque chose – fumer, regarder la TV, manger du chocolat, etc. – c’est : ” Est-ce que je suis là quand je fais cette chose, est-ce que je suis présent ? ”
La création d’un témoin intérieur est l’acte le plus créatif de la psychothérapie.
Exprimer son élan créateur permet-il de guérir ?
Quelqu’un qui créerait pour se guérir, c’est problématique. Ce n’est pas ce que je dis, je dis plutôt : ” Créer va nous guérir, en passant. ” Parce que la force du mouvement créateur va faire en sorte que nos névroses seront moins intéressantes, tout simplement. En d’autres termes, c’est comme si je disais : ” Cela ne sert à rien d’essayer de régler nos névroses. ” Avoir été traumatisé, battu, violé, avoir des carences affectives ou des problèmes de reconnaissance importants, ça ne se règle pas.
Ces enfances-là ont vraiment coupé les êtres de leur puissance intérieure.
La nature du problème – par rapport à l’enfermement de base – ne se règle pas. C’est une contraction.
Par contre, le travail thérapeutique va permettre une certaine ouverture. Je n’ai jamais vu quelqu’un se pencher avec attention sur son cas sans s’ouvrir. Les personnes sortent de certains étranglements, oui, mais les empreintes de base ne vont pas disparaître totalement. Il restera une fragilité, une sensibilité. Si l’on s’ouvre à autre chose, on va faire évoluer cette sensibilité vers plus d’humanité.
Comment être sûr que s’ouvrir à son élan créateur va le permettre ?
Il n’y a pas de garantie que cette proposition liée à la perspective de l’autonomie et de la création fonctionne. Par contre, du côté de la perspective liée à la peur et à la dépendance , on trouve une garantie : si on est séparé de notre pulsion créatrice, on rencontrera plus de souffrance et de maladie. Et si on ne fait rien, il est probable qu’on ne sorte ni de la dépendance ni de l’autodestruction.
La seule réparation réelle et possible est de se remette en contact avec sa puissance intérieure. C’est la véritable reconnaissance. Elle n’est pas dans le regard de l’autre qui me garde dépendant de lui, elle est en moi. Je reconnais ma force créatrice et je la mets en action dans le monde. Et j’y trouve une joie comme je n’ai jamais trouvé dans ma vie.
C’est une façon de s’occuper de ses problèmes, sans s’en occuper, en répondant à ses goûts, à ses talents. Et là le problème – ce n’est pas qu’il n’existe plus – mais il n’a plus la force de contrainte.
La personnalité me contraint, mes peurs, mes croyances me contraignent à certains types d’attente et comme les autres ne répondent pas à ces attentes, j’entre en conflit avec eux. Je suis contraint et je me pense maître dans ma maison mais au fond je suis esclave. C’est observer cela qui m’intéresse. Et l’ayant observé, me dire que ça ne vaut vraiment pas la peine de continuer ce chemin-là.
Allons plutôt vers ce qui est créateur pour soi, ce dont on a le goût !
Comment nourrir le meilleur de soi ?
Tout ce qui ouvre va aider à sortir de l’enfermement de la peur : respirer amplement, faire des exercices, se détendre, avoir une bonne alimentation, aller dans la nature, etc.
Lorsqu’on est en pleine nature par exemple, au bout de 45mn, les soucis disparaissent. En faisant des promenades pour le plaisir, on a de plus en plus conscience que l’on existe sans le regard de l’autre (les arbres ne nous regardent pas, ils ne sont pas aux prises avec leur personnalité).
Le soir avant de s’endormir, on peut aussi imaginer d’autres mondes, d’autres personnages, d’autres couleurs, d’autres machines, d’autres aliments…
L’expression créatrice, c’est pour soi. ??a vaut la peine de faire quelque chose pour soi. C’est ce qui anime : faire une sculpture, danser, créer un nouveau couple, etc.
Lors d’un séminaire sur la relation mère-fils au Japon, une mère de trois enfants, bouddhiste, me dit : ” Quand vous parlez d’être soi-même, je ne sais pas du tout ce que vous voulez dire. ” Cette mère ” fonctionnait ” bien, elle était bien ” adaptée ” à son milieu” Mais elle ne vibrait plus. Je lui ai demandé ce qu’elle aimait le plus faire lorsqu’elle était plus jeune. Elle me répondit qu’elle écoutait beaucoup de musique classique japonaise.
Mais elle avait tout laissé de côté lorsqu’elle s’était mariée et s’était occupée de ses enfants.
Je lui ai proposé de recommencer dès le lendemain à écouter de la musique classique, pendant quelques minutes seulement au début pour que ce soit facilement réalisable, et d’imaginer sa vie sans limites en se laissant toucher par son essence profonde.
Je lui demandai également de répéter cet exercice pendant une semaine et de noter, à la fin de celle-ci, ce qu’elle avait reconnu de son essence.
Lorsque tu parles de l’atelier en Inde sur les rigidités, tu développes l’idée, très forte, de ne pas attendre de résultats”
Oui, nous nous étions installés dans un village de sculpteurs pour apprendre à travailler la pierre. Nous pensions que les participants trouveraient ça dur. La première journée, chacun s’est mis à piocher sa pierre avec ardeur. Le matin de la deuxième journée, tout le monde était à l’heure – ce qui est assez rare dans un atelier de développement personnel – pour aller à nouveau piocher et sculpter. A la fin de la matinée, au moment de la pause, les participants ont demandé à continuer une demi-heure de plus alors que ce travail est dur physiquement.
Sculpter en fait était tellement difficile qu’ils avaient abandonné dès le départ l’idée d’un résultat. Et comme il n’y avait plus d’attente de résultat, ils se sentaient libres comme des enfants dans un carré de sable. Il n’y avait pas non plus de jugements car chacun faisait du mieux qu’il pouvait dans une sorte d’engagement physique fervent. Et au lieu d’être fatigués, comme on aurait pu naturellement s’y attendre au bout de quatre heures de ce dur labeur, cela leur donna à tous l’énergie nécessaire pour continuer.
Toucher l’essence, c’est changer de regard, d’attitude, c’est être dans la jouissance d’un processus : ” Je ne cours pas pour être performant mais pour goûter la nature. ”
Comment exprimer le meilleur de soi dans sa vie de tous les jours ?
L’idéal c’est d’avoir une vue d’ensemble : ” Mon action sert à quelque chose, sert le monde. ”
Mon neveu de 20 ans a fait plein de petits boulots, entre autres plongeur dans un bar. On peut penser que ce n’est pas valorisant ou intéressant. Pourtant, si la vaisselle n’était pas bien lavée, tout le monde serait malade !
Un comédien, pour payer ses cours et gagner sa vie, était prof de ski. Il retrouvait dans son enseignement une sorte de scène en plus du contact avec la nature. Il s’est rendu compte qu’il était heureux de faire ça. Il trouvait dans ce travail un accomplissement qu’il n’aurait pas soupçonné.
Le meilleur de soi repose sur ces piliers-là : talents, goûts orientés vers un idéal.
Ce qui est en jeu, c’est de reconnaître que l’on n’est pas seulement sa personnalité. On est un avec la vie, on se réunit de l’intérieuravec autrui et avec l’univers dont nous faisons partie. Et en faisant cela, on est dans plus d’humanité.
Exprimer le meilleur de soi rend nos vies plus heureuses, plus harmonieuses et nous maintient plus en santé !
Avec ce livre, as-tu la sensation d’avoir bouclé une boucle ?
Il est l’aboutissement d’une recherche, une ouverture où il y a de l’espoir. Au niveau de ma compréhension de la vie ou de la psychologie, j’ai fait le chemin que je voulais faire.
J’ai voulu rendre accessible cette compréhension des choses et donner des schémas de travail, des orientations.
C’est un livre qui résume ce chemin et qui accompagne bien la vie. Il accompagne bien la mienne en tout cas (rires) ! Il fait comprendre le mouvement général qui soutient l’élan créateur en offrant une voie qui pour moi est vraie, juste, basée sur des sensations profondes.
Oui, c’est une sorte de boucle et un pont vers une autre forme d’expression créatrice.
J’ai envie d’aller vers des projets qui mettront un nouveau vent dans mes voiles et qui me permettront devivre un peu plus librement. J’ai le goût de mettre en action mes propres enseignements et de m’amuser à exprimer les mêmes choses mais d’une autre manière, en allant du côté de l’écriture poétique et théâtrale par exemple.