Consultant, géographe, ami des indiens Kogis de Colombie pour lesquels il rachète des terres
depuis 1997 par le biais de son association Tchendukua, il vient de terminer une tournée de conférences en France et en Suisse pour mieux faire connaître son action.
L’objectif : acquérir une vallée de 400 hectares pour pouvoir recréer un village
Propos recueillis par Catherine Balance
(Revue Recto-Verseau – décembre 2000)
RV : Les indiens Kogis vivent repliés dans de hautes vallées où leur survie devient de plus en plus difficile. Les nouvelles terres achetées vont leur permettre d’augmenter leurs surfaces cultivables. Qu’est-ce que cela implique exactement ?
EJ : Aujourd’hui, le premier acte est de rendre une terre aux indiens et le deuxième de remettre en place un système de décision, de développement et d’éducation qui leur permette d’être autonomes. Une dizaine de familles ont accepté de quitter leurs villages et de réimplanter ce système sur ces nouvelles terres mais elles sont complètement isolées de leur vallée d’origine. Et elles ont besoin d’être soutenues pour maintenir l’envie et la nécessité de rester là en attendant que d’autres familles les rejoignent. C’est un processus long, fragile et difficile.
Tu as une place dans ce processus d’intégration, une fois la terre récupérée ?
EJ : De l’extérieur, plusieurs choses peuvent être faites. Beaucoup de plantes traditionnelles que les indiens utilisent ont disparu de ces terres. Il faut donc se mettre en chasse de graines de coton, par exemple. Mais ce n’est pas facile car on ne trouve plus le coton traditionnel dont ils ont besoin. Ils construisent leurs huttes avec des palmes très particulières mais tous les palmiers ont été abattus dans la région. Il faut retrouver des graines de palmier, les replanter, puis attendre que ça pousse pour que les indiens puissent s’en servir et c’est long. D’ici là, on ira acheter les palmes ailleurs”
Tu as le projet d’aller vivre un an ou deux chez les Kogis. ??a représente quoi dans ta vie” apprendre ?
EJ : Oui, en partie. Quand je leur en ai parlé, ça les a fait rire parce qu’ils m’ont demandé ce qu’ils pourraient bien m’apprendre en un an alors qu’eux ont des cycles de formation de neuf et dix-huit ans. Mais il y a aussi l’idée de vivre des choses en sortant de l’intellect justement pour être plongé dans l’exigence du territoire. C’est en vivant la Sierra avec sa réalité naturelle qu’on peut vivre une expérience dans le corps. C’est là qu’on peut se rééquilibrer, se mettre en position de faire ce dont je rêverais, c’est-à-dire, un voyage intergalactique. Il y a des gens qui vont chercher les mystères de l’univers à l’autre bout du système solaire” et il y a quelques peuples qui sont les gardiens d’autres portes. Les Kogis en font partie. Et je me prépare vraiment comme à un voyage intergalactique mais à l’intérieur.
Est-ce que tu te sens partagé entre leur monde et le nôtre ?
EJ : Non, pour moi, il n’y a qu’un seul monde, celui des hommes et de la vie. J’ai eu la chance en Colombie de rencontrer des êtres qui sont ancrés dans cette réalité où tous les hommes sont frères, tous les arbres sont frères et où que tu sois tu es chez toi. Alors, je ne me sens pas du tout entre deux mondes. Ce sont deux univers différents qui se complètent bien. Ce qui m’importe, c’est de trouver les liens qui réunissent les hommes, que ce soit en France ou en Colombie, et de réinvestir le lien homme/nature et la nécessité de le vivre physiquement. J’ai en projet de mettre en place une ” école de la nature et du savoir ” parce que le savoir ne va pas sans la nature et la nature sans le savoir. J’aimerais faire se croiser des chercheurs, des hommes et des femmes, pour qu’ils réinterrogent leurs domaines de compétence à la lumière de ce lien et de ce qu’il veut dire pour eux et pour qu’ils viennent frotter leur regard et leur vie à un autre regard et une autre vie.
Est-ce que tu écriras un livre sur ce savoir ?
EJ : Je ne suis pas pressé, ça se fera quand ça devra se faire. Ecrire c’est bien, incarner c’est mieux.